« Pierre Le Gonidec : histoire d’un pionnier du design de marque » (nouvelle biographie)

Biographies de Bretagne a le plaisir de vous livrer le prologue d’un nouveau récit  de vie. Dans les premières années d’après-guerre, Pierre Le Gonidec, le fils d’un Breton de Paris et d’une Berrichonne, passa tous ses étés auprès de ses grands-parents paternels qui, la retraite venue, s’étaient retirés dans leur Trégor finistérien natal, du côté de Plestin-les-Grèves. C’est là que Pierre découvrit la langue bretonne au contact des paysans, donnant un coup de main aux moissons, courant derrière les vaches avec Jean Lintanf, un jeune garçon de son âge qui plus tard se révélerait un conteur et un chanteur hors pair. C’est là aussi que les paysages ruraux et maritimes éveillèrent la sensibilité artistique de Pierre.

Entré à quinze ans seulement à l’École Estienne qui forme aux métiers du livre – un établissement qui verra passer quelques années plus tard le dessinateur satirique Cabu – Pierre s’initiera aux techniques de la gravure en taille douce sur métal. Puis, après une formation supérieure complémentaire qui lui ouvrira les portes de l’enseignement secondaire, le jeune homme devra se résoudre à prendre le chemin de Lille car telle était la condition imposée par l’Éducation nationale pour qu’il puisse retrouver sa jeune épouse aveyronnaise, Paule Vézinhet, elle-même professeure de dessin. Pour autant, la capitale des Flandres se révélera un lieu particulièrement stimulant, au contact notamment de créateurs belges. C’est là donc que Pierre et Paule donneront naissance en 1965 au GE2A, le Groupe d’étude d’art appliqué, qui ne sera rien moins que le tout premier studio graphique en France qui se consacrera entièrement au design de marque. Le fameux studio Carré Noir de Gérard Caron n’ouvrira ses portes qu’en 1973, soit huit ans plus tard, mais il aurait pour lui d’être établi sur la place de Paris… atout maître pour obtenir la reconnaissance des grands médias et des institutions.  Ici, une des créations de Pierre Le Gonidec en 1968: la fameuse fleur de la marque de produits laitiers Nova.

Nova
Nova

Dans l’extrait qui suit, nous faisons appel aux souvenirs de Pierre pour vous rapporter une scène qui dit beaucoup de l’influence déterminante que l’œuvre littéraire de Jules Verne mais aussi les superbes dessins qui illustraient les premières éditions de ses récits aventureux ont exercée sur la vocation artistique du jeune Breton.

Jules Verne

– Jeune homme, dans cinq minutes il sera dix-huit heures, la bibliothèque va fermer. Il est temps que vous rangiez vos crayons de couleur.

Le cerbère des lieux, lunettes sur le nez et fine moustache, blouse noire de fonction et béret vissé sur la tête, s’était exprimé d’une voix claire et ferme, mais sans animosité. Depuis plusieurs mois, il avait pris l’habitude de voir passer tous les jeudis, jour de congé des écoliers, ce garçon d’une douzaine d’années peut-être, petit brun aux yeux clairs.

L’enfant s’exécuta, quoiqu’à regret. Depuis qu’il savait enfin lire correctement grâce aux vertus pédagogiques de son maître de l’école de la rue Asseline, il mettait du cœur à rattraper toutes les années d’apprentissage perdues pendant cette fichue guerre qui l’avait vu brinquebalé entre le domicile parisien de ses parents et la Bretagne de ses grands-parents paternels, entre le Tarn où sa mère l’avait confié à une amie le temps d’un été prolongé et le Berry de son arrière-grand-mère maternelle. Témoin de ses efforts, l’annexe de la bibliothèque du XIVe arrondissement, qu’un vigile à l’allure sévère le pressait maintenant de quitter, était devenue pour lui un refuge en même temps qu’une caverne d’Ali Baba regorgeant de trésors.

– Déjà six heures du soir ? s’interrogea Pierre, incrédule. J’étais pourtant là dès l’ouverture des portes à deux heures mais je n’ai pas vu le temps filer… Il est vrai qu’avec les jours qui rallongent en cette fin du mois de mai, il n’est plus utile d’éclairer la salle, pourtant tapissée de bois sombre du sol au plafond, et on y perd ses repères… Mais comment vais-je faire, moi ? Pour terminer l’année de septième, le maître nous demande de préparer un exposé à présenter devant toute la classe. Il paraît même qu’un inspecteur du ministère sera là pour nous écouter! C’est une catastrophe, je ne suis pas prêt… Et ce maudit bégaiement qui me paralyse!…

Le garçon n’eut d’autre choix, pourtant, que de refermer le livre, si précieux à ses yeux. Sur la couverture en cuir mordoré, dans une édition originale de Pierre-Jules Hetzel, on pouvait lire, en lettres dorées où alternaient les pleins et les déliés Vingt mille lieues sous les mers par Jules Verne. Et sur la page de garde, le regard était hypnotisé par une illustration fantastique, au propre comme au figuré, où des poulpes géants, un narval à l’unique défense torsadée aussi affûtée que l’épée de d’Artagnan et un cachalot gigantesque, gueule béante, côtoyaient deux scaphandriers, à l’allure picaresque. Les deux intrépides avaient trouvé refuge dans une caverne sous-marine d’où ils pouvaient admirer le spectacle saisissant. Une signature en bas à droite du dessin : « Hildibrand ». Dès qu’il l’avait vue, Pierre avait été littéralement captivé par cette représentation fantasmagorique d’un univers qu’il n’imaginait même pas en rêve.

Hildibrand, Henri-Théophile de son prénom, n’aurait bientôt plus de secret pour Pierre. C’est cela qu’il voulait faire dans la vie, c’est cela qu’il voulait faire de sa vie, il en était certain. Et aucun agent de bibliothèque, aussi redoutable soit-il, ne pourrait l’en empêcher…

Vingt mille lieux sous les mers

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